[Tribune] Les 5 âges de la maturité client
2019 : 62% des clients ont le sentiment d'être traités comme des numéros et non comme des personnes. 2021 : 67% des dirigeants français affirment que leur entreprise va changer la façon dont elle s'engage et interagit avec ses clients. Entre-temps, confinement et distanciation sociale (et commerciale...) sont passés par là. Cette crise a surtout servi de révélateur. 1ère révélation : la capacité à entrer en contact avec ses clients est un formidable levier de résilience et de croissance. 2ème révélation : être en relation ne suffit plus. Pour faire la différence, l'entreprise toute entière se doit d'être orientée, centrée, obsédée client ! De fait, la " customer-centricity" ne se définit plus comme une optimisation de process, la constitution d'un département " expérience client " ou des investissements en faveur de programmes clients, c'est un changement de référentiel. Un nouveau référentiel où toutes les dimensions de l'entreprise (le réseau, le digital, le produit, la supply chain, les ressources humaines...) sont concernées : une véritable transformation culturelle ! Pourtant, si beaucoup d'entreprises se réclament de cette orientation client, très peu l'exécutent... Ce n'est qu'une fois décrétée, que l'orientation client s'exécute. Pour cela, il est indispensable de définir et mettre en place une " trajectoire client " poursuivant 5 âges de maturité avec, à chaque âge, un objectif, une organisation et des caractéristiques bien précis.
Âge 1 : L'INTERET, ou comment résoudre les irritants client avec des quick-wins
La genèse de l'orientation client commence souvent par une prise de conscience de l'importance du client au sein de l'entreprise à travers la sur-sollicitation du service client ou la remontée systématique et massive d'un irritant client (temps d'attente incompréhensible, nécessité de réexpliquer son problème sur plusieurs canaux ou différents interlocuteurs, absence de considération de son " statut " client...) A ce stade, l'entreprise cherche à diminuer les plaintes, " gommer les irritants " et faire taire les insatisfactions. L'entreprise est ici dans une posture " problem-solver ". Elle met en place des actions réactives - et souvent symboliques - pour améliorer la satisfaction, réduire l'attrition ou booster l'engagement client.
On pense ici, à la " Ligne Bleue " mise en place dans les supermarchés Carrefour.
1°/ Temps 1, détection d'un irritant : le long temps d'attente avant d'arriver jusqu'au personnel de caisse (30% des clients renoncent à un achat à cause d'une attente trop longue en caisse4).
2°/ Temps 2, recherche d'une solution : ouvrir d'autres caisses pour fluidifier la file d'attente.
3°/ Temps 3, médiatisation de la solution : réaliser un spot publicitaire " la ligne bleue " pour valoriser la prise en compte du bien-être client dans les supermarchés Carrefour.
Âge 2 : L'INVESTISSEMENT, ou comment mettre en place un " projet client " pour résoudre un problème ou saisir une opportunité d'engagement
Cet âge est celui où l'entreprise investit en moyens humains et financiers pour mettre en place des programmes clients. Contrairement à l'âge précédent, il y a une prise de position au sein de l'entreprise grâce à une organisation dédiée et des moyens associés. L'entreprise s'attache alors à définir et designer une nouvelle expérience client, à concevoir un nouveau programme client ou encore construire (ou refondre) son programme de fidélité. Pour cet âge, prenons l'exemple de Look Voyages qui a mis en place un véritable programme de management de la satisfaction. Le point de départ ? Un constat simple, les clients passant par le service client après leur séjour (plainte, réclamation, demande de dédommagement...) ont un taux de réachat supérieur aux clients ne passant pas par le service client. La recette ? L'écoute et la considération client. En mettant en place un programme systématique de traitement et de réponses aux réclamations client, le taux de réachat des clients " a priori insatisfaits " a été multiplié par 2 vs les clients qui ne contactent pas le service client5.
Âge 3 : L'IMPLICATION, ou comment redéfinir les process internes vers plus de customer centricity.
Cette fois-ci, l'entreprise intègre complètement cette nouvelle approche et ne se contente plus de dispositifs ou d'actions isolées comme dans l'âge 1 et 2. C'est l'apparition des programmes de transformation client. Transversaux, ils décloisonnent les silos, tissent des passerelles dans l'organisation, agrègent les données disponibles aux étapes clefs du parcours client, monitorent la " voix du client ", pilotent les corrélations entre satisfaction et Customer life Time Value. Les collaborateurs de l'entreprise sont impliqués et intégrés à l'ambition client. Ainsi chez Carrefour où les équipes de caisse remontent les remarques et verbatims des clients qu'elles entendent ou encore le fait que les directeurs mais aussi le PDG voient leurs primes tributaires du taux de satisfaction client7. Ainsi, nous ne sommes plus, simplement, dans une résolution de problèmes mais dans une redéfinition des processus internes de l'entreprise : " Je vous invite à désobéir à partir du moment où c'est pour le client8 " comme l'a si bien dit l'ancien Directeur Général de Leroy Merlin. Évidemment, cette étape, passe par une sensibilisation et une acculturation des collaborateurs via des programmes de formation " au sens du client " comme chez Picard où, à la sortie du nouveau programme de fidélité Picard & Moi, les équipes ont été formées à la nouvelle posture relationnelle et aux nouveaux KPIs orientés client. Résultat : 1 an après le lancement de son programme de fidélité, le leader des surgelés confirme sa place de marque préférée des Français et gagne encore des points dans le baromètre YouGov des marques de distribution.
Âge 4 : L'ENGAGEMENT, ou comment construire sa stratégie d'entreprise autour du client
Le client devient " un essentiel " pour l'entreprise. Il anime les discussions, il questionne, il co-construit. Les valeurs de l'entreprise font corps avec les tendances sociétales et orientent les développements stratégiques de l'entreprise. Si l'âge de la redéfinition des process est toujours (et plus que jamais) d'actualité, cet âge s'enrichit d'expériences radicalement nouvelles, en adéquation avec les valeurs et les causes qui mobilisent les clients et qui parfois impactent les orientations commerciales de l'entreprise. Patagonia, avec ses initiatives éco-citoyennes, illustre parfaitement bien cette volonté de partager ses engagements avec ceux de ses clients grâce à ses initiatives comme " 1% for the Planet " où plusieurs entreprises consacrent 1% de leur chiffre d'affaires à la préservation de l'environnement, où encore " wear worn " qui permet de remettre en état et/ou de recycler les vêtements usagés des clients. A ce stade, le projet client est porté par tous les collaborateurs et plus seulement par le comité de direction. La stratégie impacte la culture même de l'entreprise. Fnac Darty a récemment annoncé qu'il prévoyait de " vendre moins de produits neufs et compenser cette baisse de revenus par la vente de services par abonnement9 ". Encore une fois, les engagements de l'entreprise sont transparents et médiatisés pour faire écho aux nouvelles attentes clients et mieux les engager. Chiffre clef de cette dynamique : 7 Français sur 10 pensent que les entreprises, les marques et les distributeurs ont un rôle à jouer sur les sujets de société.
Âge 5 : L'INCLUSION, ou comment impliquer le client dans la transformation culturelle de l'entreprise
Au plus haut niveau de maturité se trouve l'inclusion, cet âge où la co-création irrigue les stratégies d'offres, de services et bien sût d'innovations de l'entreprise. Ici, le client fait partie intégrante de l'organisation. On pense, ici, facilement à Michel & Augustin qui recherche la connivence ultime avec ses clients ou encore Decathlon prêt à retirer de ses rayons les produits qui reçoivent une note de satisfaction inférieure à 4. Club Med, longtemps porteur du mantra " Happy G.O. make Happy G.M. " invite aujourd'hui ses clients à des " Open CODIR ", et dans son ambition de promouvoir " l'économie de la considération ", semble nous dire que désormais " Happy G.M. make Happy G.O". Citons enfin, le e-commerçant Zappos dont la raison d'être " Apporter du bonheur au client " pourrait inspirer bien des chantres de la customer centricity. Pour s'assurer que ses collaborateurs restent chez Zappos pour de bonnes raisons (prendre du plaisir au travail, apporter solutions et fun aux clients...) et non pour de mauvaises raisons (gagner plus...) l'entreprise offre un chèque de $2000, à la fin du processus d'intégration des nouvelles recrues, à ceux qui décidaient de quitter l'entreprise. Objectif : s'assurer de garder seulement des collaborateurs heureux et motivés de rejoindre l'entreprise. Ainsi portée et promue par chaque collaborateur, la culture client devient un actif de l'entreprise.
En somme, la customer centricity n'est pas, n'est surtout plus, un mantra. Elle est une trajectoire qui poursuit 5 âges de maturité, qui touche tous les éléments de la chaîne de valeur de l'entreprise : son offre, ses services, son modèle de distribution, son organisation, ses orientations stratégiques. Prendre conscience, que " Le seul patron c'est le client ", c'est transformer un à un ces éléments de la chaîne de valeur avec des " cas d'usage client " qui, chaque jour, vont nourrir la stratégie et l'obsession client. Et, vous, quel est votre âge de maturité client ?
Bertrand Destailleur
Associé Expérience Client