Nébuleuse MarTech : comment sortir du brouillard ?
En moins de 10 ans, le nombre de solutions MarTechs a connu une augmentation de plus de 5200%. Si cette croissance offre un immense champ des possibles pour les entreprises, elle complexifie également les processus de choix et d'intégration de ces solutions. Dans cette interview, Bertrand de la Selle, Partner en charge de la practice Marketing Performance d'Equancy, revient sur le phénomène.
HUB Institute : Le nombre d'outils MarTechs et AdTechs disponibles sur le marché est, depuis plusieurs années, en forte croissance. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Bertrand de la Selle : Cet accroissement peut s'expliquer par 2 dynamiques à l'œuvre sur le marché :
- Un focus de la part des marques sur les parcours clients : les annonceurs veulent aujourd’hui être capable d’observer, mesurer, analyser et améliorer tous les types d’interactions ou points de contact avec le consommateur. Pour cela, l'usage de la donnée est indispensable.
- L'explosion de la capacité data : de plus en plus de moyens existent pour collecter, mesurer et proposer ce qu'on appelle la "next best action marketing". En plus de cela, les outils MarTechs et AdTechs sont aujourd'hui beaucoup plus accessibles car leurs activités, le stockage, l’analyse et le calcul autour de cette donnée, coûtent de moins en moins cher.
La conjonction de plus de besoins, avec des outils de moins en moins chers et de plus en plus spécialisés à chaque point de contact explique cette extension et cette fragmentation.
- Bertrand de la Selle, Partner en charge de la practice Marketing Performance (Equancy)
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HUB Institute : Ces solutions, notamment celles dédiées à la personnalisation, sont-elles compatibles avec les nouveaux enjeux de privacy ?
BS : Ce sujet de la privacy n'est pas nouveau, c'est même un enjeu qui préoccupe le monde depuis plusieurs années. Pour preuve : le livre de Seth Godin "Permission Marketing", qui symbolisait ce besoin de passer à un marketing de permission, a plus de 20 ans! Cependant, il est vrai que sur ce sujet les esprits se sont récemment éveillés. Et pour cause : avec l'apparition de nouvelles régulations, la privacy est devenu un phénomène de masse et de plus en plus de personnes sont aujourd'hui attachées au respect de leur vie privée.
De leur côté, les marques sont en train d'adopter ce paradigme de la demande de consentement. Nous allons passer d'un marketing d'interruption, où le consommateur a l'impression qu'on lui vole ses données sans qu'il s'en rende compte, à un marketing de confiance où l'on sera beaucoup plus clair sur l'usage de cette donnée. Les marques auront certainement moins de contacts, mais ces derniers seront consentis et de confiance. Grâce à des stratégies data first party, les marques auront des dialogues consentis avec leurs clients. Une fois ce consentement obtenu, le paradoxe opposant privacy et personnalisation n'a plus lieu d'être puisque le client sait à l'avance qu'il bénéficiera d'un marketing personnalisé s'il accepte de partager ses données avec la marque.
HUB Institute : Quel regard portez-vous sur l'utilisation de l'IA à des fins marketing ?
BS : Il y a deux points majeurs à noter sur l'IA. Le premier, c'est que l'on est déjà dans un monde où l'on confie nos décisions à des algorithmes : on choisit son itinéraire avec Waze, sa série avec Netflix, ses prochains investissements avec la dernière application de néobanking. Le second point c'est que, par effet de masse, on a de plus en plus confiance vis-à-vis de ces algorithmes. Une récente étude menée par l'Université de Géorgie démontre que plus un problème est complexe, plus l'humain a tendance à accorder sa confiance à l'intelligence artificielle.
Tout le monde n'est pas mathématicien ou statisticien. On n'arrivera pas à, et on ne doit pas, former tous les directeurs marketing à l'algorithmique ou à la programmation sous Python. En revanche, il est assez facile via des exemples de notre vie quotidienne de démontrer à chacun comment une machine a prédit telle ou telle évènement.
- Bertrand de la Selle, Partner en charge de la practice Marketing Performance (Equancy)
À travers les projets que nous menons chez Equancy, nous observons que l'IA sert réellement les nouveaux outils marketing. Elle est même absolument nécessaire, car cette technologie est la seule à être en mesure de calculer la meilleure décision à prendre. Cependant, des outils comme les Customer Data Platform ne font par essence que proposer un choix et c'est l'humain qui, fort de son expérience, doit choisir ou non de suivre les recommandations faites par l'algorithme. De fait, il est nécessaire de vulgariser et de former les équipes à manier ces outils. On ne doit pas, selon moi, partir vers des solutions 100% commandées par les algorithmes, car celles-ci ne prennent en compte qu'un historique et ne sont pas en mesure d'appréhender l'ensemble des paramètres.
HUB Institute : Comment faire évoluer son écosystème IT pour intégrer ces nouveaux outils MarTechs et AdTechs ?
BS : Je pense que la meilleure manière de concevoir un écosystème, c'est justement de ne pas raisonner en écosystème. Il faut raisonner par cas d'usage. La majeure partie du temps, quand un client a besoin d’un nouvel outil, il a tendance à s’orienter vers une énorme suite marketing. Or, elle est souvent surdimensionnée par rapport aux besoins à l'instant T. Quand on creuse un peu, on observe qu'il y a 1,2,3,4 ou peut-être 5 cas d'usage prioritaires sur lesquels il faut se concentrer. Par exemple, si vous avez un business omnicanal qui fonctionne bien, avec des canaux qui communiquent et une data qui transite efficacement de l’un à l’autre, vous avez peut-être besoin d'un peu plus de personnalisation sur le canal digital. Mais cela n’implique pas obligatoirement d'acheter une nouvelle solution qui va remplacer l'ensemble de vos systèmes.
L'implantation de ces solutions peut parfois être assimilée à une partie de Jenga : vous avez une tour regroupant l'ensemble de vos solutions. Vous enlevez une brique et regardez si la tour s'écroule quand vous la remplacez par une nouvelle solution plus moderne. Bien sûr il y a des moments où, en enlevant une brique de base dans les fondations, tout s'écroule. Là, et seulement là, il faut s'interroger quant au fait de remplacer ses systèmes.
- Bertrand de la Selle, Partner en charge de la practice Marketing Performance (Equancy)
Il faut donc se poser les bonnes questions : de quoi a-t-on besoin ? Qu'est-ce que cela va produire ? Quel est le ROI de tel ou tel cas d'usage ? Est-ce que nos systèmes actuels peuvent le faire ? Si non, est-ce qu'une solution unique pour ce cas d'usage peut remplir l'ensemble des besoins ? Si cela n'est pas le cas, c'est seulement à ce moment qu'on finit par s'interroger sur le remplacement d’une partie ou de plusieurs systèmes. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de moment où l’on doit remplacer ces legacy systems par de grandes solutions qui vont adresser tous les besoins. Mais souvent, il vaut mieux commencer par des solutions parcellaires, qui ne sont pas tellement plus chères à condition qu'on puisse en démontrer le ROI cas d'usage par cas d'usage.
Bertrand de La Selle
Associé Accélération Digitale